parce qu'il y a Lady Gaga en couverture. Mais c'est en lisant les chroniques de livres dans Glamour que j'ai encore découvert une correspondance troublante, qui me touche tout particulièrement puisque c'est à propos de mon idole absolue :
Courtney Love a donc une grand-mère ! Et une grand-mère (relativement) connue. En poussant mes recherches sur Paula Fox un peu plus avant, j'ai pu mesurer l'étendue de la tragédie familiale.
Paula Fox est la fille de Elsie et Paul Fox, couple de fêtards invétérés des années folles (ils auraient d'ailleurs rencontré les Fitzgerald au cours de leurs pérégrinations nocturnes). Elsie est scénariste, Paul écrivain, mais aucun des deux ne connaît le succès, ce qui ne les empêche pas de vivre de soirées mondaines, de cocktails et de cigarettes. Lorsque Elsie se retrouve enceinte alors qu'elle n'a que 22 ans, elle panique totalement, se sentant incapable d'élever un enfant. Paula Fox dira plus tard que sa mère aurait voulu se faire avorter, mais que lorsqu'elle s'aperçut qu'elle était enceinte, sa grossesse était déjà bien avancée et l'avortement trop risqué. Pris dans la spirale infernale de l'alcool, des drogues et des fêtes incessantes, Elsie et Paul décident d'abandonner l'enfant à sa naissance, en 1923.
Paula passera alors toute son enfance à naviguer parmi les amis et les proches de ses parents, se faisant refiler comme un paquet encombrant, sans jamais connaître une vraie stabilité. Elle rencontre sa mère pour la première fois à l'âge de 5 ans, et elle dira plus tard de cette rencontre : "Je sentais que si elle avait pu le faire sans que personne ne le sache, elle m'aurait tuée." Ses parents se lancent alors dans une vie itinérante et chaotique, les menant de Manhattan à la Floride, puis Cuba, le New Hampshire et enfin Hollywood. Les rares entrevues entre la mère et la fille vont de l'hystérie à la brutalité pure. Un jour, Elsie lance même un verre au visage de Paula dans un accès de rage.
Paula se marie très jeune et donne naissance à une fille, Linda, alors qu'elle n'a que 21 ans. Ne voulant pas reproduire la relation haineuse qu'elle a connue avec sa propre mère, elle abandonne Linda à l'adoption, espérant pour elle une enfance heureuse et stable. Quelques années plus tard, Paula alla à l'université de Columbia, se remaria et eu deux fils, et se mit à l'écriture, devenant l'écrivain célèbre que l'on sait.
Linda grandit dans une famille catholique de San Francisco, se sentant confusément comme une étrangère, mais sans avoir idée de son adoption.
Elle rencontre un "roadie" (ou plutôt dealer) du Grateful Dead dans une soirée, et devient mère à 21 ans, donnant naissance à Love Michelle en 1965. Je vous raconterais bien les crises de colère du bébé qui la faisaient devenir violette, ou la communauté hippie de San Francisco au sein de laquelle ils vivaient tous les trois, mais Poppy Z. Brite l'a fait mieux que moi. Ce qu'il faut retenir, c'est que parmi les cinq enfants de Linda, l'aînée Love (renommée Courtney à l'âge de 5 ans, en pleine redescente de LSD) fut toujours l'indésirable, la laissée-pour-compte. Elle encombrait sa mère comme un mauvais souvenir de sa jeunesse hippie, elle qui se remaria quelques années plus tard avec un homme stable et devint gestalt-thérapeute. Courtney, comme sa grand-mère Paula, fut refourguée de famille en famille d'amis, entre la Nouvelle-Zélande et l'Oregon, avant de se retrouver dans des maisons de redressement. Au cours de son enfance et de son adolescence, sa relation avec sa mère s'est progressivement dégradée ; à l'heure actuelle, elles ne se parlent quasiment plus.
Comme on le sait, Courtney devint la mère de Frances Bean, avec laquelle elle entretint un rapport fusionnel jusqu'à l'adolescence, la tenant par la main sur les tapis rouges et ne la quittant pas d'une semelle. On aurait pu croire que la chaîne de malédiction familiale était enfin rompue, mais Courtney a depuis quelques mois interdiction d'approcher sa fille, sur ordre du tribunal et, surtout, sur demande de cette dernière.
Entre-temps, Linda Carroll a entrepris, à l'âge de 49 ans, des recherches pour retrouver sa vraie mère. C'est là qu'elle a découvert que cette dernière n'est autre que Paula Fox, écrivain à succès qui a notamment raconté son enfance traumatique dans "Borrowed Finery" ("Parure d'emprunt"). Linda a donc été en mesure de reconstituer la fameuse "malédiction des filles aînées" menant à Courtney (qui, paraît-il, ne s'entend pas très bien avec sa grand-mère Paula), dans son récit "Her mother's daughter", non traduit en français à ce jour. Linda trouve fascinant que "Courtney, sans avoir aucune idée de qui étaient ses aïeux, ait eu très tôt l'envie d'être célèbre et ce goût de la théâtralité, enfouis au plus profond d'elle."
Courtney peut apparaître comme le doppelgänger de son arrière-grand-mère Elsie, avec la même wild attitude, la même intelligence précoce, le même rayonnement. Elsie est morte en 1992, l'année de la naissance de son arrière-arrière-petite-fille Frances Bean. Sa date de décès est inconnue (du moins sur internet). On peut dès lors fantasmer qu'elle soit morte après le 18 Août, et que les cinq générations de femmes aient été en vie en même temps, et que leurs esprits se soient rencontrés... Fascinant, n'est-ce pas ?
Le titre du dernier album de Hole, "Nobody's Daughter", résonne alors non plus comme un simple règlement de compte de Courtney à Linda ou à Frances, mais, plus largement, comme une allusion à cette malédiction familiale vieille d'un siècle, qui, on l'espère, prendra fin quand Frances Bean acceptera de revoir sa mère.